Le silence extérieur concerne d’abord la parole. Mais il concerne aussi notre corps qui a également son langage. Nos Fondateurs ont parlé de « modestie » ou « silence des signes ». « Modestie » se réfère à la lettre de saint Paul aux Philippiens (4,5) qui la nomme parmi les fruits de l’Esprit et qui a le sens de bonté, de bienveillance teintée d’humilité et de discrétion. Si ces mots paraissent anachroniques, la réalité qu’ils recouvrent est d’actualité. Le corps est à la mode: relaxation, cures d’amaigrissement, de musculation, sports, mais aussi expression corporelle, danse…

Un corps qui parle

L’homme moderne est bien convaincu que le corps dit quelque chose de son être profond, qu’il exprime son âme: pensées, sentiments, émotions. Aussi est-il soucieux de lui donner une belle apparence par un lifting, par les vêtements, les parures. Pensons aussi à ces visages de vieillards qui racontent toute une vie, qui rayonnent de sérénité. Nos gestes habituels eux-mêmes, tels que notre démarche, notre maintien, manifestent aussi ce que nous sommes: précipités, paresseux, optimistes.

Un corps qui « fait signe » pour entrer en relation, communiquer

En apprenant les premiers gestes d’affection, les enfants apprennent à s’ouvrir aux autres et à percevoir dans le don d’eux-mêmes le sens de la vie humaine. Nous entrons en relation grâce au corps: poignée de main, regard, baiser, parfum, relation conjugale, vêtements, etc. Nous sentons bien et nous savons que ce langage est important, mais peut-être faut-il le réinventer, le maîtriser, en le liant à la vérité: ce qu’est l’homme, ce qu’est le chrétien.

Jésus Christ, Verbe fait chair

Si les paroles et les silences de Jésus nous apprennent Dieu, ses gestes et ses comportements nous le révèlent aussi: il touche les malades, prend des enfants dans ses bras, se prosterne pour prier, pose son regard sur Pierre le renégat, meurt sur une Croix dessinant entre ciel et terre le signe indélébile de l’Alliance. Avec son corps de ressuscité, il renouvelle sa présence, mais ses gestes manifestent toujours quelque chose de Dieu: il prépare le repas sur le rivage, se laisse toucher par Marie Madeleine. Retourné auprès du Père, il se donne à nous, Corps et Sang, pour qu’en nos corps nous puissions poursuivre son œuvre. Et ainsi se construit l’Église, Corps du Christ, dont nous sommes les membres. Comment, par nos gestes et nos comportements, allons-nous prolonger ceux du Christ? ceux de l’Eglise? Et les gestes de Marie? l’Évangile nous en livre quelques-uns. Mais il en est d’autres: ses gestes d’amour pour son bien-aimé, Joseph; pour son enfant, Jésus. Poètes et peintres ont su les traduire dans leurs œuvres.

En quoi consiste ce silence?

Nous connaissons de ces gens qui ont avalé leur parapluie ou qui ne savent que faire de leur corps. Les écrits de nos Fondateurs disent d’une manière ou d’une autre qu’il ne s’agit pas de supprimer entièrement les signes, de manière à devenir comme une statue, mais de régler nos gestes afin qu’ils manifestent: – notre humanité: politesse, respect, tendresse, simplicité qui bannit l’hypocrisie, la vanité, la mondanité… – notre foi en la présence de Dieu, car nous sommes membres du Christ et temple de l’Esprit, qui se traduit en… – …charité: on peut faire de très beaux gestes de respect à l’égard de Dieu (génuflexion, inclination…) et ensuite ne même pas porter attention à ceux avec qui nous venons de célébrer. Où est la foi? Ces trois notes sont importantes pour notre vie apostolique, car elles sont un préambule à l’annonce de Jésus-Christ.

Conséquences de la pratique de ce silence

  1. Nous connaître mieux pour nous libérer en nous maîtrisant, comme pour le silence de la parole. Par exemple, un haussement d’épaules accompagné d’un silence peut être plus blessant qu’une parole piquante et ce geste manifeste soit notre orgueil, soit le jugement, soit l’indifférence.
  2. Développer la foi et la charité.
  3. Permettre aux Christ et à son Esprit d’imprégner tous nos gestes et nos comportements, donc devenir conformes au Christ.
  4. Permettre aux autres de rencontrer Dieu. En ce siècle de l’image, les hommes veulent voir des icônes vivantes. A quoi bon chanter le peuple des baptisés, rayonnant de la joie pascale si nous avons des visages de tâcherons de la vie spirituelle, fourbus, plaintifs et rabat-joie? Comment croire à la tendresse du Père si on ne rencontre que froideur, distance et dureté?
  5. Vivre une chasteté joyeuse. Dans le célibat comme dans le mariage, et quel que soit l’âge, le langage des corps tient sa place. Apprendre ou réapprendre le langage des signes de l’amour est d’une brûlante actualité: chrétiens, nous sommes appelés à leur donner une saveur évangélique, à les préserver (sans jeu de mots!) ou à les libérer de l’hypocrisie, du mensonge, de l’égoïsme, de la domination… mais pas du plaisir qu’il y a à donner, à se donner. Ce langage, si saint soit-il, n’est pourtant qu’un aspect de la relation amoureuse et ne saurait être coupé des autres aspects sous peine de n’être plus ni langage, ni signe. * * * Nos Fondateurs, en prônant ce silence, ne visaient pas à former des gens « bien élevés ». Ils savaient que les comportements avaient une influence sur l’intérieur, sur le cœur et pouvaient le transformer. Activisme, fébrilité? Apprenez à marcher posément, à respirer profondément, à vous détendre, et vous constaterez que petit à petit votre activité sera plus efficace et votre vie plus détendue.