Mis en appétit par le précédent article, nous abordons le silence le plus facile, celui de la parole. À un jeune moine qui s’enquérait de savoir pourquoi il était toujours silencieux, Abba Sérapion répondit: Avant tout par discipline intérieure, puis parce qu’il y a trop de personnes qui parlent, qui parlent… sans qu’elles aient trouvé quelque chose à dire.
Parler ou ne pas parler?
Le silence envisagé par nos Fondateurs peut se résumer en une courte maxime maintes fois répétée: ne parler que lorsqu’on le veut, et ne le vouloir que lorsqu’il le faut. Ainsi défini, le silence fait appel: – à l’initiative et à la responsabilité de la personne qui règle ses paroles et son silence « de l’intérieur »; – au discernement spirituel dans la foi: contrôler les motifs, les mobiles de nos paroles; – au dynamisme apostolique: ce qui est utile et nécessaire à ceux que nous rencontrons. Faire silence est donc parler… pour dire quelque chose.
Jésus Christ est la Parole, le Verbe
Notre motivation ultime pour pratiquer ce silence est de nous conformer au Christ, Verbe fait chair, Parole du Père adressée aux hommes. Nos paroles et nos silences sont-ils paroles et silences du Christ lui-même, inspirés par l’Esprit? Le silence de Marie ne fut-il pas tout entier au service de la Parole? Voilà une double invitation à méditer, à contempler le silence du Christ et de Marie pour motiver notre propre silence et lui donner tout son sens.
Quelques avantages du silence de la parole
1. Nous connaître mieux pour nous libérer en nous maîtrisant. En examinant nos paroles et nos silences, nous pouvons découvrir nos tendances profondes, nos peurs, nos centres d’intérêt… Ainsi l’orgueil dans notre opiniâtreté, nos emportements, nos critiques; le manque de charité dans nos médisances, nos calomnies, nos indiscrétions; l’égoïsme dans nos longs monologues, nos glorieux souvenirs, etc. Maîtriser notre langue est chemin de liberté en réduisant l’influence de nos mauvais penchants et en permettant à l’Esprit Saint de guider notre langue. Les insensés ont leur cœur dans la bouche, les hommes sages ont leur bouche dans le cœur (Si 21,26). Il faut mâcher quand on mange et réfléchir quand on parle, dit un proverbe vietnamien. 2. Rencontrer Dieu. Vivre en présence de Dieu, vivre de Dieu est un fruit du silence. Le Verbe peut alors se dire, se révéler. Nous pouvons entendre les gémissements ineffables de l’Esprit qui nous donne de dire Abba! Père! Silence du pécheur repentant, silence du cœur confiant, silence d’adoration, du repos en Dieu, de la communion dans l’amour. Le silence est un plaisir délicieux, parce qu’il lui sert de moyen pour s’entretenir continuellement avec Dieu, dans la conversation duquel il goûte des délices ineffables, disait le P. Chaminade qui parlait d’expérience (Écrits de Direction I, n° 203). Quant à mère Adèle, elle ne cessait de répéter que le silence est la condition essentielle pour avoir une vraie vie intérieure. 3. Rencontrer les autres. Communier à Dieu et communier aux autres vont de pair. Dans une phrase lumineuse, mère Adèle le dit à son amie Emilie de Rodat avant une de leurs rencontres: Vous vous trouverez d’abord en grand silence, mais ce sera pour parler à Dieu et apprendre à nous mieux parler, en Lui et pour Lui (Lettres Adèle II, n° 473). Nous l’avons dit, le silence est une condition du dialogue. Dans ce monde, envahi par les paroles et les mots, le silence permet à notre témoignage et à notre service fraternel de devenir le signe de la présence de Dieu (Nouwen). Ce silence permet d’écouter l’autre et donc de le comprendre, pour ensuite lui dire Dieu ou ce que l’Esprit met sur nos lèvres pour son bien. Ainsi, petit à petit, nous apprenons la docilité à l’Esprit.
Comment le pratiquer?
– Méditer le silence de Jésus et de Marie. – Ne parler que lorsque l’Esprit Saint délie, pour ainsi dire, notre langue, en nous inspirant de parler, dit le père Chaminade. L’Esprit imprégnera nos paroles et nos silences de simplicité, d’humilité, de douceur et de vérité. – Examiner nos paroles et nos silences pour nous fixer quelques objectifs très concrets, par exemple: ce soir, au retour des enfants, les laisser parler et les écouter… sans le bruit de fond de la télé ou de la radio; en recevant tels amis, veiller à ne pas critiquer les autres, mais à porter un regard de foi sur eux; en telle circonstance, ne pas parler de moi, mais faire parler les autres. Cette pratique du silence, pour être vraie, s’accompagne de gaieté, de joie et d’humour! Sinon, nous serons de tristes saints, donc pas saints du tout! * * * Concluons par un dit d’Abba Poemen: Il y a un homme qui paraît se taire, et son cœur condamne les autres. Au contraire, il en est un autre qui parle du matin au soir, et qui pourtant garde le silence. Le silence est avant tout une qualité du cœur qui mène à une charité toujours plus grande. La vie spirituelle et l’action pastorale ont pour fin la charité, non le silence.