Le silence vous fait-il du bien? Vous permet-il de mieux vous connaître, d’être plus dociles à l’Esprit Saint, de mieux utiliser votre langue, votre corps, vos passions? Je le souhaite et, en ce Jubilé de la vie religieuse marianiste, encore plus. Si notre corps et notre cœur sont déjà silencieux, il reste encore notre tête. En y portant attention, nous constatons combien notre esprit est indiscipliné. Sainte Thérèse d’Avila le comparaît à un cheval indompté qui va partout sauf là où on lui demande d’aller. Platon l’avait déjà remarqué ainsi que la Bhagavad-Gita en Inde, qui ajoutait: Lorsqu’un homme peut immobiliser ses sens, je l’appelle illuminé.

Que met-on sous ce mot « esprit »?

Tout ce qui se passe dans notre « matière grise »: mémoire, réflexion, jugement, raisonnement, projets… L’imagination aura un traitement à part. Merveilleux outil, prodige de technologie que l’esprit humain, source de tant de progrès pour l’humanité! Mais nous savons aussi qu’un rien peut l’enrayer, que les pires inventions peuvent en sortir. Quotidiennement, nous savons que notre esprit aime à parler tout seul, que toutes sortes d’idées nous assaillent et finissent par nous perturber. Si l’ensemble des choses que j’ai apprises m’assaille toujours et ne me laisse jamais seul, j’en suis dépendant, j’en suis esclave (Écrits de Direction I, n°420). Mais peut-on vivre sans penser à rien? Certainement pas et ça n’est pas ce que nos Fondateurs entendent par « silence de l’esprit ».

Le silence de l’esprit

Nos Fondateurs, en décrivant les dangers du vagabondage d’esprit et les avantages du silence de l’esprit, ont décrit ce que nous appellerions aujourd’hui le « contrôle cérébral », tant prôné par des méthodes actuelles qui ont vu le jour en diverses parties du monde. Le silence de l’esprit consiste à le fixer dans la pensée de ce à quoi il devrait s’occuper… c’est bannir toute pensée inutile pour ramener son esprit à l’objet dont il doit s’occuper (Écrits de Direction I, n° 713). Autrement dit: être à ce que l’on fait. Pendant que j’écris cet article, vais-je permettre à mon esprit de penser à ma lessive? et pendant l’oraison, de penser à cet article? Mais nos Fondateurs n’ont pas créé une école de « self-control »! Ils veulent nous aider à grandir dans le Christ. Or, par ce silence, ils nous conduisent à une meilleure connaissance de nous-mêmes: quelles sont les causes de nos divagations d’esprit? à nous libérer de nos esclavages, grands ou petits; à nous mettre sous la mouvance de l’Esprit qui se joint à notre esprit (cf. Lettre de saint Paul aux Romains 8,16).

Les causes de l’effervescence de notre esprit

Première question à se poser: à quoi notre esprit s’amuse-t-il? et pour quelle raison? – Une disposition naturelle: comme il y a des bavards par nature, il y a des esprits légers qui n’arrivent pas à se fixer. Cette difficulté d’attention peut être augmentée par le monde ambiant: vidéo-clips, publicité omniprésente, informations audio ou visuelles se chassant l’une l’autre… – Un manque d’ascèse des sens: tout voir, tout entendre, tout goûter, toucher à tout, c’est la domination de la curiosité. La diversité des sensations entraîne la diversité des pensées. La mémoire est saturée de sensations. – La complaisance en soi ou la vanité: comme certains aiment à contempler leur propre image dans un miroir, certains se regardent penser et finissent par croire qu’ils sont des génies. – Une passion: le jeune amoureux ne pense plus qu’à sa « belle » et en oublie les maths! Si je constate que mes pensées sont presque toujours de la jalousie, ou des jugements sur tout et sur les personnes, ou des désirs sensuels, je puis facilement en déduire que mon cœur est esclave de quelque passion. – Plus qu’une cause, une circonstance: lorsque je fais une tâche matérielle – passer l’aspirateur, arracher les mauvaises herbes, peindre une fenêtre – que fait mon esprit? à quoi s’attache-t-il? Ainsi, en analysant les causes de nos vagabondages d’esprit, nous nous connaissons mieux. Peut-être allez-vous trouver des causes semblables à celles que vous avez trouvées en pratiquant les autres silences. Bon signe! Le Seigneur vous éclaire sur ce qui est peut-être l’obstacle principal à votre conformité au Christ. Peut-être aussi avez-vous trouvé une manière de maîtriser et votre langue et vos gestes et vos passions. Ne serait-elle pas applicable à l’esprit? Peut-être vous sentez-vous plus à l’unisson avec l’Esprit, plus disponibles à son action: c’est un encouragement à poursuivre la route de foi qui fut celle de Marie. * * * Dans le prochain entretien, nous développerons les avantages qu’on peut tirer de ce silence et la manière de le cultiver.