Se recueillir sur la tombe de ses parents. Recueillons-nous pour prier. Une foule recueillie a défilé dans les rues. Que veut-on dire? Le théologien protestant, Roger Mehl, en donne les composantes suivantes: l’arrêt de tous les gestes, de tous les échanges, le silence, la mise en sommeil provisoire de toutes les entreprises et de tous les projets. Une foule recueillie, c’est une foule qui ne bouge pas, qui se tait, qui renonce à toute manifestation… le partage lui-même semble être un obstacle au recueillement, comme si chacun était renvoyé à sa vie intérieure.

Rentrer en soi-même

–   Le silence, tel que nous l’ont présenté nos Fondateurs, est la condition première du recueillement, seconde étape de la préparation à la conformité au Christ. Le meilleur moyen de veiller sur soi et de se conserver dans le recueillement est le silence disait la jeune Adèle (elle avait 18 ans) à Agathe Diché (Lettres Adèle , n° 76). Le silence est le seuil, la porte qui nous permet de rentrer en nous-mêmes en faisant taire tous les bruits, toutes les voix, toutes les sollicitations qui détournent de l’attention à soi, à ce qui fait le centre de nos existences. Nous sentons bien que toutes ces agressions et ces sollicitations sont une menace pour nous. Nous nous trouvons écartelés, « distraits » (c’est la même chose!), tiraillés et nous éprouvons le besoin de reconstituer notre unité et de retrouver notre identité. Se recueillir, c’est se rassembler, et on ne se rassemble qu’autour d’une force intégratrice (R. Mehl) Ceux qui ne connaissent pas le recueillement ne connaissent pas la vertu de Dieu dans le cœur de l’homme, leurs sens les occupent; leur âme n’est possédée que par des objets extérieurs et périssables (Écrits de Direction I, n° 10). Ne pas connaître la vertu de Dieu dans le cœur de l’homme signifie en clair n’être pas en relation avec Dieu source de Vie et force, tout occupés que nous sommes par ce qui distrait, ce qui n’est pas essentiel. Se recueillir, c’est se rassembler, disait Roger Mehl. M. David Monier (dans Écrits de Direction I, n° 439) écrivait: recueillir ce qu’on a de forces et de moyens libres, pour réduire la faculté moins bien domptée. M. Lalanne ajoutait: c’est la vertu de la maîtrise de soi, de l’harmonie entre les facultés (Écrits de Direction I, n° 667). Et mère Adèle précisait: c’est ne plus écouter les voix indiscrètes qui s’élèvent en nous contre notre volonté et sans notre aveu (= consentement) (Écrits de Direction I, n° 913). L’intériorité (ou le recueillement) permet à l’homme de devenir source et origine de ses propres actes et pensées et elle trouve son accomplissement dans l’espace infini, auquel elle donne accès (Maurice Zundel). Dans le chemin spirituel proposé par nos Fondateurs, « se recueillir » a donc un sens précis qui leur est propre, mais qui rejoint bien des auteurs contemporains, et même d’autres religions. –   Le recueillement ouvre à l’intériorité, là où nous retrouvons notre identité, libérés que nous sommes de toutes les pressions extérieures comme des fausses images de nous-mêmes. Là où nous pouvons décider de notre existence. –   Il permet de « recueillir » les forces qui nous habitent: les dynamismes, les vertus humaines, le résultat de nos efforts et de notre ascèse. Ces forces une fois recueillies, elles peuvent servir à vaincre ce qui reste faible ou désordonné. L’image du barrage est instructive: le torrent est une force, détruisant ou irriguant de manière anarchique. Ces forces, une fois captées par le barrage, sont canalisées et mises au service de l’homme. Prenons un exemple: voici une personne douce et patiente par nature, et qui, de plus, a su maîtriser ses pensées, ses imaginations; elle va utiliser ces forces pour vaincre en elle l’orgueil et la vanité. Telle autre sera animée d’esprit de foi et de charité: grâce à cela, elle pourra rectifier bien des tendances mauvaises. –   Il reconstitue l’unité de l’être. La sensation d’écartèlement disparaît petit à petit, car l’ensemble de la vie s’intègre autour du sens qu’on donne à tout ce que l’on fait. –   Il permet à Dieu de nous recréer, en libérant notre liberté, en nous gratifiant de ce « cœur nouveau » et de cet « esprit nouveau », capables d’aimer comme Lui-même aime. L’Esprit du Fils et du Père devient l’origine de nos actes et de nos pensées, est la force créatrice qui permet de vaincre dans le combat spirituel. « L’espace infini » s’ouvre à nous.

Se recueillir en Dieu

Nos Fondateurs emploient le mot « recueillement » dans son sens commun: on se recueille pour prier. Il permet de nous mettre en présence de Dieu et de nous y maintenir ou de vivre en sa compagnie comme dirait mère Adèle (cf. Écrits de Direction I, n° 768, 971). **Le recueillement est capacité d’attention**. Je vous propose de nous tenir en esprit avec notre divine Mère, d’imiter son recueillement et l’attention qu’Elle avait de s’entretenir avec son divin Fils qu’Elle portait dans ses chastes entrailles. Faisons mieux nos prières, nos méditations, gardons mieux la présence de Dieu, multiplions nos oraisons jaculatoires (Lettres Adèle , n° 444 à Thérèse Yannasch en 1821). Souvent, nous ne retenons qu’un seul aspect de l’attention, à savoir exclure de notre champ de conscience tout ce qui nous distrait (ce qu’opère le silence intérieur). L’autre aspect est l’attente. Attente de l’avènement de Dieu, de sa révélation comme source de notre être. Attente aussi d’une révélation de nous-mêmes qui sommes un mystère à nos propres yeux.

Moyens de pratiquer le recueillement

–   D’abord rendre grâce pour toutes les forces qui nous habitent, qu’elles soient le résultat de nos propres efforts ou qu’elles soient des dons. –   Ensuite, décider de lutter fermement pour s’unifier, mais en mettant toute notre confiance en Dieu: sans moi, vous ne pouvez rien faire (Jean 15,5). –   Continuer l’examen spirituel pour approfondir notre connaissance de nous-mêmes: ce qui perturbe le plus, ce qui est à l’origine de ces perturbations. –   Dans la vie ordinaire, lorsque nous sommes trop préoccupés par des pensées, des sentiments, des imaginations, plusieurs moyens peuvent être mis en œuvre:     –   La prière, faite même à haute voix: prière brève, élévation du cœur fréquente et répétée, prière affectueuse. Ce peut être une phrase d’Évangile, un verset de Psaume… Les avis de mère Adèle à des supérieures (ici à Thérèse Yannasch: Lettres Adèle , n° 444) sont aussi valables pour des laïcs chargés de responsabilités: Une supérieure n’est guère à elle; (n’est-ce pas vrai d’une maman?) mais la charité surpasse surabondamment ce qui nous manque de recueillement. Cependant, il faudrait tâcher de faire comme le Bon Père [Chaminade] qui, malgré sa multiplicité d’occupations est toujours uni à Dieu. Ce serait le moyen de bien faire nos occupations, et à mère du Sacré Cœur Diché: Tenons-nous plus recueillies, plus unies à Dieu dans nos actions. Faisons comme le Bon Père: une élévation avant de parler et de répondre, cela modérera l’empressement et nous empêchera bien des repentirs qu’une parole échappée nous occasionne. (Lettres Adèle , n° 565). Le recueillement est alors synonyme d’union à Dieu, de présence à Dieu qui « demeure » en nous.     –   La substitution et le changement d’activité: il est communément reconnu qu’une bonne promenade ou un travail manuel apaise un esprit soucieux ou un énervement, qu’une bonne lecture ou un travail intellectuel fait oublier un chagrin, etc.     –   Réagir contre la précipitation en faisant chaque chose en son temps calmement, sans céder à n’importe quelle fringale ou à l’activisme. Mère Adèle donne encore cet avis: Vous serez plus propre aux affaires en sortant d’un moment de recueillement que lorsque vous avez la tête farcie d’affaires (À mère de l’Incarnation de Lachapelle, Lettres Adèle , n° 608). Dans nos vies surgissent aussi les périodes de grands troubles, de tempête: épreuves physiques, spirituelles, morales… où le recueillement devient quasi impossible. Le plus sage est de ne pas s’isoler, mais de recourir à un bon accompagnement et à ses amis. Le recueillement, permettant l’unification de notre être et l’union à Dieu, engendre la paix du cœur et l’efficacité dans l’action.