Silence extérieur, silence intérieur, pas à pas nous avons découvert tout le bien que nous pouvions en retirer. Avant de poursuivre le chemin, peut-être est-il judicieux de faire le point. Où en sommes-nous des préparatifs pour nous lancer sur le chemin de la conformité au Christ?
Le silence est-il devenu « vertu »?
Une vertu est une disposition habituelle qui ne nécessite plus d’effort particulier, qui n’altère pas la paix du cœur et qui se traduit par une joie intérieure, disions-nous. Après ces quelques mois de pratique du silence, peut-être vous sentez-vous encore loin de cette définition. Peut-être en avez-vous également expérimenté, durant certaines périodes, le bien-fondé. De toute façon, il faut du temps pour que le silence devienne « vertu ». Aussi sommes-nous appelés à la constance, vertu chère à saint Paul, car elle est espérance, à savoir confiance en la fidélité de Dieu qui, ayant commencé son travail, le continue sans se lasser, tant que nous ne lui opposons pas de refus.
Une vertu de préparation
La préparation vise un triple objectif:
- Mieux se connaître: pourriez-vous affirmer que vous êtes plus au clair avec vous-même, au moins sur un ou deux points? que vous saisissez mieux le pourquoi, les motivations de vos pensées, de vos actes, de vos réactions? que vous connaissez mieux vos tendances? Attention de ne pas vous arrêter uniquement à ce qui ne va pas, mais de voir aussi les forces positives qui vous habitent.
- Maîtrise de soi mieux assurée: sûrement, vous aurez expérimenté cette joie d’avoir réussi à maîtriser ou une parole, ou un geste, ou une passion ou votre esprit… maîtrise, fruit de l’Esprit. Sans doute aurez-vous aussi constaté des manques de maîtrise… ça ne fait rien! Continuez…
- Docilité à l’Esprit Saint: simplement, constatez-vous une progression dans le discernement? Voyez-vous mieux, et je dirais, presque spontanément sans longue réflexion, ce que l’Esprit attend de vous? Laissez-vous davantage d’initiative à l’Esprit pour vous guider, pour agir en vous ou bien êtes-vous encore arcboutés sur votre gouvernail ou sur vos rames?
Un chemin de liberté
Réalisant ces trois objectifs, vous sentez-vous plus libres? En paraphrasant saint Paul: avec la force de l’Esprit, le bien que je veux faire, je suis en mesure de le faire et le mal que je ne veux pas, je puis l’éviter. Libres par rapport à vous-mêmes, à tout ce qui bouillonne, à tous les esclavages grands ou petits; par rapport aux autres, à ce qu’ils peuvent penser ou faire; par rapport à Dieu, aimé comme celui qui nous fait grandir, qui nous constitue hommes.
Un chemin de communion
Nous en avons déjà parlé. A présent, évaluons le chemin parcouru. Le silence n’est pas un but en soi, mais un moyen de rencontre, de communion. – Une tour d’ivoire? chemin d’intériorité ne peut se confondre avec repliement sur soi, contentement de soi, contemplation de soi… regarder son nombril! Ai-je pu me rencontrer? sans peur, sans honte, mais dans l’action de grâce, en me sachant aimé de Dieu, c’est-à-dire comblé de biens, de qualités, de talents, mais aussi gracié, sauvé de tous les démons qui m’habitent, pécheur réconcilié? J’ai besoin de silence pour exister, pour agir humainement. – Un Dieu-refuge? Comme il nous est bon, à certaines heures, de nous retrouver au cœur de la Trinité pour y goûter la paix, la joie, la tendresse, le calme après des journées harassantes! Cela est très bon, mais ne suffit pas. Le silence n’est pas seulement un avant-goût du repos éternel! Le silence est écoute active de Dieu et moyen de communier aux pensées, aux projets de Dieu pour le monde, pour les hommes. Le silence nous permet d’entendre battre le cœur de Dieu, d’accueillir son amour pour tout homme et non seulement pour moi: d’entendre ses gémissements, sa douleur devant tant de misères et de maux qui s’abattent sur l’homme; d’entendre ses colères aussi. Dieu nous partage ses projets apostoliques! Il le fait par son Verbe, Parole faite chair. – Un Robinson Crusoë?* Le taciturne manque tout autant au silence que le bavard. Se couper de la vie en société sous prétexte de vivre le silence n’est pas « chaminadien ». Le silence vous permet-il de mieux écouter les autres, de les entendre? Le silence fait-il de vous une agréable compagnie pour les autres? Le silence vous permet-il de communier aux joies et aux peines des autres, du monde? Certains se vantent de ne jamais lire le journal ou regarder la télé: sont-ils vraiment silencieux? rien n’est moins sûr…
Un chemin avec Marie
La Vierge Marie a-t-elle été présente au long de ce chemin et de quelle manière? Comme modèle? éducatrice? Mère qui nous enfante à une vie nouvelle? L’important est de ne pas l’oublier ou de la réduire à une bouée de sauvetage. Soyons bien convaincus de sa mission: former en nous, en collaboration avec l’Esprit Saint, d’autres Jésus-Christ. C’est une source de confiance. * * * Après ces premiers exercices du parfait randonneur, nous allons poursuivre notre préparation par la deuxième vertu proposée par nos Fondateurs: le recueillement. En guise de conclusion, je vous livre un texte du cardinal Martini sur le silence: Le silence aide à faire taire notre fantaisie, notre être, et à éliminer tout ce qui peut déranger. Il faut entrer en prière tels des pauvres, et non tels des nantis, reconnaissant n’être pas capables de prier. Le silence écoute, accueille, se laisse animer. L’homme qui, se soumettant aux lois de la culture dominante, a chassé de ses pensées le Dieu vivant qui, de lui-même, remplit tout espace, ne peut supporter le silence. Lui qui pense vivre aux marges du néant, voit dans le silence le signe terrifiant du vide. Tout bruit, si lancinant et obsédant soit-il, lui est agréable; toute parole, même la plus insipide, le libère de son cauchemar. Rappelons-nous pourtant que cet homme, incapable de silence et de confiance dans le Mystère, existe en chacun de nous, dans des proportions variables. Il cohabite avec l’homme dont le cœur tend et aspire ardemment à l’Invisible. Chacun de nous est extérieurement agressé par des flots de paroles, de sons, de clameurs, qui assourdissent nos journées, voire nos nuits. Il est poursuivi par le flot de discours mondains et médiatiques qui au moyen de mille futilités nous distrait et nous disperse. Qui souhaite rencontrer Dieu doit lutter pour assurer au ciel de son âme ce prodige dont parle le livre de l’Apocalypse (8,1) « un silence d’une demi-heure environ ». Il acquiert alors la capacité de l’écoute.* (Se retrouver soi-même, Brepols 1997, p.41)