Notre vocation de baptisés et de marianistes consiste à reproduire en nos vies l’image du Christ. Nous nous y préparons en essayant de mieux nous connaître, en maîtrisant notre vie, en étant dociles à l’action de l’Esprit. La pratique du silence extérieur, celui de la parole et des signes, nous y a déjà aidés. Avec le silence intérieur, nous poursuivons notre chemin. Nos Fondateurs nous proposent le « silence des passions » ou « silence du cœur », que nous pourrions aussi appeler silence de la zone affective.
Un cœur qui parle…
Partons de notre expérience: nous rencontrons telle personne, nous sommes confrontés à tel événement, rien n’y paraît extérieurement, ni dans nos paroles, ni dans nos gestes, mais à l’intérieur, quel remue-ménage! Émotions, sentiments, passions agitent notre cœur. Dans la réalisation de nos projets, petits ou grands, nous constatons combien une passion peut nous motiver et nous permettre de surmonter les obstacles. Forts de ce constat, nos Fondateurs ont très souvent abordé ce thème des « passions » et du « silence » qu’il faut savoir leur imposer. C’est qu’ils avaient vu où pouvaient mener des passions mal dirigées et en furent même les victimes. Ils avaient sous les yeux tous les excès, tous les débordements qu’entraînaient les passions dans la vie politique, sociale et personnelle. C’est pourquoi, sans minimiser les émotions et les sentiments qui peuvent agiter le cœur, ils ont concentré leur réflexion sur les passions qui sont le moteur de notre vie affective. Si le moteur est bien réglé…
Qu’entend-on par passion?
Ce sont des énergies, des pulsions, des forces vitales qui permettent à l’homme de se réaliser, de chercher et d’atteindre le bonheur, ce bonheur pour lequel Dieu l’a créé. Le père Chaminade se référant à saint Thomas d’Aquin, définit ainsi les passions: de fortes inclinations, des sentiments très vifs qui nous portent vers ce que nous croyons être un bien pour nous et nous détournent de ce que nous croyons être un mal pour nous… Tous les élans de notre nature vers le bonheur. Mère Adèle ajoute: les passions n’ont en elles rien de mauvais, car elles sont l’ouvrage de Dieu, qui n’a rien créé de mauvais en nous (Écrits de Direction I, n° 904).
Concrètement, quelles sont ces forces vitales et comment agissent-elles?
Que se passe-t-il lorsqu’un bien s’offre à moi? une rencontre avec des amis, un livre, un gâteau, et… des passions vont me motiver: à commencer par l’amour. Si ce bien me semble accessible, le désir me stimule. En entrant en sa possession, la joie m’envahit. Être motivé ne suffit toutefois pas, je dois faire effort pour le posséder; cet effort est soutenu par des passions: si des difficultés surgissent, la passion d’espérance me soutient et si cette espérance n’est pas illusoire, le courage et l’audace vont me permettre d’aller jusqu’au bout de l’effort. Par contre, si c’est un mal qui s’offre à moi, une maladie, un échec, un ennemi, un péché… la passion de haine va me motiver pour m’y soustraire. Si ce mal me menace de près, j’éprouve de l’aversion et si ce mal s’abat sur moi ou si j’y consens, surviennent la douleur et la tristesse. Pour me défendre contre ce mal, deux passions vont naître en moi: si le mal est difficilement évitable, surgit le désespoir et si les obstacles pour l’éviter s’accumulent, surgit la crainte. Enfin, si le mal est inévitable ou si je suis dépossédé du bien tant attendu, la colère m’étreint.
Les passions: bon ou mauvais?
Mère Adèle nous a rappelé qu’elles sont l’ouvrage de Dieu: on ne doit donc ni les éteindre ni les refouler. Mais – ajoute-t-elle – la corruption de notre nature depuis le péché les a perverties. Elles deviennent les alliées d’un triple égoïsme souligné par saint Jean: Tout ce qu’il y a de mal dans le monde est concupiscence des yeux, concupiscence des sens et orgueil de la vie (1 Jean 2,16). Par concupiscence, entendons désir ressenti, avant toute décision de la liberté: – Désir des richesses ou avarice, quête de profit (pas seulement financier!) au détriment de l’autre; désir de posséder ce que l’autre possède, argent, talents, vertus… suscitant la jalousie. – Désir de la sensualité et de la volupté, saturer tous ses désirs, répondre à toutes ses envies, exploitation de la différence sexuelle. – Désir des honneurs, de l’estime et de l’approbation des autres, orgueil, vanité. Si nous cédons à ces égoïsmes, nous demeurons prisonniers de nos pulsions-passions, nous ne sommes plus libres et nos passions sont mauvaises. Par contre, si nos passions se mettent au service de la générosité et de l’oblativité, elles sont bonnes et servent le projet de Dieu; elles sont libératrices. Pour mieux saisir ce mécanisme complexe, une question peut nous aider: Jésus fut-il un passionné? Comment et pourquoi? En quoi nos passions ressemblent ou non à celles du Christ? * * * Reste à savoir en quoi consiste le silence des passions. Nous répondrons à cette question dans le prochain article.