Le petit bilan de la préparation étant établi, nous pouvons poursuivre la route, non sans entendre d’abord quelques avertissements utiles à toute personne qui se met à la suite du Christ et qui vise la conformité à Jésus-Christ.
1. Attention à la tiédeur!
Saint Jean déjà, dans l’Apocalypse (3,15-16), avertit l’Église de Laodicée: Je sais tes œuvres: tu n’es ni froid ni bouillant. Que n’es-tu froid ou bouillant! Mais parce que tu es tiède, et non froid ou bouillant, je vais te vomir de ma bouche. Ce texte sera repris par le père Chaminade et, tout au long de ses Notes d’Instruction, il reviendra souvent sur la tiédeur, pour en prémunir les chrétiens. Les spirituels, depuis toujours, ont dénoncé cette tentation – véritable maladie spirituelle. Dans les premiers temps de l’Église, elle prend le nom « d’acédie », ou de « tristesse ». Dans l’Écriture, elle signifie “abattement découragement, lassitude“. Dans la tradition spirituelle, elle se manifeste par l’ennui et la fatigue. Plus concrètement. Considérant le point d’où nous sommes partis, nous trouvons que nous avons déjà pas mal avancé, au point de nous croire arrivés. Nous ne nous reprochons pas de fautes graves, mais notre cœur ne brûle plus d’enthousiasme pour atteindre la perfection de la charité, pour nous laisser mouvoir par l’Esprit. Les signes marquants sont le trouble intérieur (on hésite sur la conduite à tenir), l’ennui, l’ingratitude à l’égard de Dieu, la perte du sens de la vie, la nostalgie. Tout devient pesant: prier, lire, travailler, aller en mission. Et surtout, nous nous fatiguons de lutter. Surgit alors le désir de chercher ailleurs pour trouver mieux, de s’agiter dans de multiples tâches ou activités. En fait, il s’agit d’une inertie qui nous fait nous arrêter sur le bord du chemin: c’est une des grandes illusions du Tentateur. Cette inertie s’oppose à notre régénération en Jésus-Christ et par lui. Il est souvent difficile de s’avouer à soi-même qu’on est atteint par cette perte d’enthousiasme au service du Seigneur et de nos frères. Et il est souvent encore plus difficile de réagir, puisqu’on est « fatigué ». Avant d’affirmer que nous sommes dans une phase de tiédeur, il est bon de consulter le confesseur ou l’accompagnateur spirituel. Que faire si nous sommes atteints? – Dorothée de Gaza rapportait: Mes adversaires, dit l’acédie, sont la psalmodie et le travail manuel; mon ennemie, la pensée de la mort; mon meurtrier, la prière accompagnée de l’espérance certaine des biens futurs. – Persévérer dans tout ce qu’on a à faire. Ne quitter la prière sous aucun prétexte, ne fuir aucun devoir de son état et de son ministère, faire tout avec amour et esprit de foi: « à cause du Christ ». – Se détendre sainement: une promenade ou une sortie que l’on reconnaît humblement nécessaire vaut mieux qu’une prétentieuse fermeté. Une bonne hygiène physique: sommeil suffisant et bain (même Thomas d’Aquin recommandait le bain!). – Pratiquer la charité dans la vie de chaque jour, avec nos plus proches comme avec tous ceux que nous rencontrons dans notre vie professionnelle et sociale. La charité guérit la tristesse, disait Isaïe de Scété. Abba Poémen, quant à lui, conseillait à un moine atteint de tiédeur: Ne méprise jamais personne, ne condamne personne, ne dis du mal de personne, et le Seigneur te donnera la paix.
2. L’orgueil montre son nez!
A peine a-t-il fait quelques pas qu’il se laisse enfler le cœur à la vue de ses bonnes œuvres! (Écrits de Direction I, n° 836). Nous connaissons bien cet orgueil qui nous guette lorsque nous réussissons. Certes, nous ressentons une légitime fierté à réussir, une joie: rien de mal en cela. Mais nous risquons de nous attribuer nos réussites. Il suffit de regarder l’humilité de Marie: elle ne dit pas qu’elle ne vaut rien mais simplement que ce qu’elle est, elle le doit au Puissant, source de tous les biens, et qui réalise des merveilles. À l’orgueil qui effleure notre cœur comme un encens, opposons l’action de grâce: c’est le remède le plus efficace. Elle ne nous demande pas de nous mépriser ou d’être triste, mais au contraire d’être dans la joie parce que le Seigneur nous fait du bien; elle nous aide à reconnaître que nous avons du prix à ses yeux et que tout ce que nous sommes est fruit de son amour.
3. Faibles et pauvres
Reconnaître que nous sommes des êtres de « chair », à savoir des créatures fragiles comme l’herbe, impuissants à entrer par eux-mêmes dans le Royaume, à connaître par eux-mêmes les réalités divines, n’est pas chose aisée. Et pourtant, c’est évidence! Et le Verbe s’est fait « chair »: il assume la chair avec ses limites et en même temps la sauve, la transfigure par le don de l’Esprit. L’homme est à la fois « chair » et « Esprit ». Au niveau moral, il y a lutte entre les deux, une lutte que nous retrouvons dans tous les secteurs de notre vie. Mettre notre confiance en nous-mêmes, c’est mettre notre confiance en un être de chair, incapable de sauver. Mettre notre confiance en Jésus, c’est permettre au Christ de grandir en nous, de fortifier l’homme spirituel. Reconnaître que notre pauvreté est sagesse: il a regardé la petitesse de sa servante. Cet état de faiblesse permet de s’écrier avec saint Paul: Je puis tout en celui qui me fortifie (Lettre aux Philippiens 4,13) ou bien: Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort (Seconde lettre aux Corinthiens 12,5-10). Voilà pourquoi la pauvreté est source de joie profonde. Si nous n’éprouvons aucune joie à nous reconnaître pauvres devant le Seigneur, c’est que notre regard est encore trop centré sur notre « moi »: nous sommes tristes de ne pas être comme nous rêvons d’être. La réalité est bien plus belle que le rêve: nous sommes fortifiés par Dieu même.